JOUR 41

CHEZ LES WARHOL

12:00

BRUNCH
– Concombres, crème, ail, ciboulette, sel, poivre, huile d’olive
– Avocat, citron, sel, poivre
– Salade de penne au blé complet, crème d’artichaut, oignon rouge, tomate ancienne, sel, poivre, huile d’olive
– Œufs durs.
– Fraises, basilic, poivre de Sichuan vert
– Thé à la menthe
– Jus aux quatre fruits

MOI. – Tu lis quoi ?

ELLE. – De l’Ero Guro Nansensu. J’en ai trouvé dans ta bibliothèque.

MOI. – Ah oui, lequel ? Edogawa Ranpo ?

ELLE. – Non. Une BD. « La Demeure de la Chair » de Kazuichi Hanawa.

MOI. – Superbe. Superbe. Finalement, rien ne traduit mieux le monde dans lequel nous vivons que l’Ero Guro.

ELLE. – Tu penses ? C’est distrayant mais c’est quand même invraisemblable.

MOI. – Justement. De l’obscénité cynique, cruelle et macacabre. Tellement invraisemblable et grotesque que ça en devient drôle.

ELLE. – Ah ça, pour être grotesque…

MOI. – Oui. Un peu comme si Bolsonaro faisait l’amour avec un calamar géant sur une plage de Palm Beach, habillé en hallebardier Suisse. Et les dessins sont d’une telle qualité.

ELLE. – La métaphore est si juste. En même temps Bolsonaro au pouvoir, je trouve ça plus grotesque encore que de l’imaginer niquer avec un calamar.

MOI. – Même habillé en hallebardier Suisse ? Bon, de toute façon il n’en a plus pour longtemps.

ELLE. – Je sais pas. Je n’ai pas ton appétit pour les actualités.

MOI. – Ah bon ? C’est drôle pourtant.

ELLE. – Quoi ? Lire chaque jour ce qui se passe dans le monde ? Non merci. Et pour peu qu’il y ait des politiques, c’est encore pire. Ça tient du gang bang par un banc de méduses. Vraiment non merci. À vomir. Je préfère encore, et de loin, regarder une Webcam fixée sur un balbuzard entrain de couver ses oeufs.

MOI. – Il y a une web cam fixée sur un balbuzard entrain de couver ses oeufs ? Fascinant. Où ça ?

ELLE. – Tiens là, regarde. http://www.balbucam.fr/fr/en-direct-nie/ avoue que c’est quand même mieux que la politique. Les œufs vont éclore le 11 mai. Ils vont se déconfiner eux aussi. C’est si reposant. Et ils couvent à deux, ce n’est pas que la femelle qui se tape tout le boulot.

MOI. – Le mâle couve aussi ? Fascinant.

ELLE. – En tout cas, elle est bien cette BD. Très divertissante. Ça fait tellement bien de s’évader un peu. On suffoque. On se demande bien quel plaisir ils y trouvent ? On suffoque.

MOI. – Qu’ils y trouvent à quoi ?

ELLE. – Et bien, les politiques, à s’embourber en nous faisant chier comme ça.

MOI. – Aucun.

ELLE. – Quoi aucun ?

MOI. – Ils n’y trouvent aucun plaisir. Juste l’espérance d’être devenu quelque chose, d’avoir marqué le réel. Mais au final ils crèvent comme tout le monde. T’inquiète pas que si on décidait de ne plus retenir leur nom dans les livres d’histoire, y aurait moins de prétendant.

(Silence. Un temps).

ELLE. – Et toi alors, tu lis quoi ?

MOI. – « Civil War ».

ELLE. – C’est quoi ?

MOI. – Une série Marvel écrite par Mc Millar. Beaux dessins, super histoire.

ELLE. – Ah oui, ça parle de quoi ?

MOI. – En gros, à force de subir les dommages collatéraux liés aux interventions des super-héros, le gouvernement demande à toute personne détentrice d’un super-pouvoir d’être rescencée et de dévoiler sa véritable identité.

ELLE. – Merde, comme dirait Madame Almodovar.

MOI. – Elle dit ça Madame Almodovar ?

ELLE. – Souvent. C’est écrit dans leur chronique. .

MOI. – En tout cas, dans l’histoire, même les super-vilains emprisonnés peuvent avoir une remise de peine. S’ils acceptent de se soumettre à la nouvelle loi. Du coup, Iron Man accepte et devient le leader de la coalition légaliste.

ELLE. – Belle promotion.

MOI. – Oui, Iron Man a toujours eu le sens des affaires. Le problème c’est que Captain America refuse en vertu du IVe amendement. Il devient hors la loi. Et le chef de ceux qui refusent de se soumettre à la nouvelle règle. S’engage alors une guerre civile.

ELLE. – Ça à l’air bien. Le pitch donne envie. Tu envisages de faire une guerre civile ?

MOI. – Non non, certainement pas. En revanche j’ai des pouvoirs je te rappelle. Avoir des super pouvoirs impose de faire des choix.

ELLE. – Oui. À grands pouvoirs, grandes responsabilités. C’est important de savoir à quelle cause tu vas te mettre au service.

MOI. – Oui. C’est vrai. C’est important. Mais avant, il est important de savoir si masque ou pas masque. Et pour la cape aussi. J’essaye de comprendre l’utilité de la cape. Tu penses que je mets une cape ? Et puis, la combinaison moulante, je suis pas convaincu pour la combinaison moulante. C’est bien pour danser la Zumba mais pour faire super-héros, je m’interroge.

ELLE. – Pour la cape je ne te conseille pas.

MOI. – Ah bon pourquoi ?

ELLE. – C’est un truc à se prendre les pieds dedans. Et puis, ça peut se prendre dans la porte du tram. Un truc à se faire traîner jusqu’au prochain arrêt. Et pour la combi, à poil comme le Dr Manhattan c’est bien aussi. Moi j’aimais bien.

MOI. – C’est vrai ce que tu dis. C’est vrai, j’avais pas pensé à ça.

(Silence. Un temps)

ELLE. – C’est fou quand même ce truc de vouloir devenir héros de quelque chose ou président.

MOI. – Repenses-y, la prochaine fois que tu seras assise sur la lunette des chiottes à regarder la porte.

ELLE.- Bein quoi la lunette des chiottes ? Quel rapport ?

MOI. – C’est une idée qui t’aidera à croire que ce n’est pas tout ce qu’on va retenir de toi.

ELLE. – C’est vrai qu’on est peu de chose.

CHEZ LES ALMODOVAR

MOI. – T’es où ?

ELLE. – c’est dimanche. C’est notre jour de sortie.

MOI. – Tu veux aller où ?

ELLE. – Un endroit avec des gens et du bruit. (Un temps) Non, je plaisante. Il n’y a pas grand chose autour de chez nous. C’est un peu la zone, le Leclerc est fermé et il n’y a que des chantiers autour de chez nous. Nous, on ne confinent pas à la campagne.

MOI. – C’est le début et la fin du monde.

ELLE.- Noooon ! Merde !

MOI. – Si, un chantier arrêté c’est exactement ça ! L’Alpha et l’Oméga à portée de mains.

ELLE. – je veux bien voir la naissance et la mort.

MOI. – Et des grues.

(Un temps)

MOI. – Tu sais qu’avec des grues et du béton, on aurait réussi à construire la tour de Babel ?

ELLE. – Ha bon ?

MOI. – On devrait réessayer.

(Un temps)

ELLE. – Quand j’y pense, c’est vraiment triste un terrain vague alors que ce n’est fait que de promesses.

MOI. – Les promesses c’est toujours tristes.

(Un temps. Ils sont dans le terrain vague. Un chantier)

ELLE. – ça fait quand même peur. C’est vide et en même temps plein de poussière, on se croirait dans un Sergio Leone.

MOI. – Les Western sont les derniers lieux de la tragédie vraie au cinéma.

ELLE. – Surtout avec la musique de Morricone. Tu sais jouer de l’harmonica ?

MOI. – Je connais les quatre accords magiques au ukulélé mais je ne sais pas si ça va le faire.

(Un temps)

ELLE. – Il faudrait un truc pour l’ambiance.

MOI. – je peux te dire un poème.

ELLE. – Oui, pourquoi pas… c’est toujours mieux que le Ukulele… Comment ça s’appelle ?

MOI. – Love.

ELLE. – Oh ! ça commence bien.

MOI. – C’est un peu long et ça risque de faire chier tout le monde.

ELLE. – C’est un terrain vague… vas-y

(Un temps. Il prend sa respiration. Le ciel est bleu.)

MOI. – Ne me dis pas qu’il ne faut aimer personne
Parce qu’alors je viendrai à reculons dans ta demeure
Et je te montrerai comment même la haine
peut contenir un peu de ce sucre
De ce miellat noir pourtant
Et amère pourtant.
Mais du sucre quand même
Qui ressemble que tu le veuilles ou non
A ces sucres d’orge que l’adulte lassé de l’adulte
Émiettait devant la porte de son enfance

Ne me dis pas qu’il ne faut aimer personne
Parce qu’alors je me cacherai dans les nuages
Pareils aux fauves pluie et j’attendrai que tu passes
Toi et ta meute honteuse de vivre de ces moments qu’on appelle vivre
Et je te tomberai sur la nuque
Sur le ventre
Sur toute ta descendance
Et je pleurerai tout contre ta joue jusqu’à ce que tu pleures à ton tour
Et que tu saignes ensuite
De ne pas avoir dit au ciel ton malheur absurde

Ne me dis pas qu’il ne faut aimer personne
Parce qu’alors je te ferai manger la mauvaise herbe
Celle qu’on appelle la saleté des saletés
Celle qui pousse contre les murs des abattoirs
Et qui pourtant nourrit un instant
l’œil fatigué et blanc des bêtes
qui croient voir dans le vert de cette herbe
Le vert de l’Eden incendié
Je t’attacherai à ta fenêtre
Et t’obligerai à regarder
Les convois et les navires pleins de bétails traverser ces degrés de souffrances
Que tu ne soupçonnes pas.
Lorsque ce qui te nourrit devrait te faire vomir.

Non

Ne me dis surtout pas qu’il ne faut aimer personne
Quand des machines à billets
Calculent le poids et la mesure
De l’acharnement à nous rendre satisfait de choses à avoir
Et qu’il reste pourtant les enfants
Qui cachent leurs dents de lait
Sous les oreillers
Espérant la petite monnaie
Qui les rendra putains plus tard.

Ne me dis pas qu’il ne faut aimer personne
Parce qu’alors je t’ouvrirai la bouche
Comme on écartèle le verbe
Comme on rompt le pain
Et j’en donnerai des morceaux aux muets
Et aux honteux jusqu’à ce qu’ils prononcent à nouveau ton nom
Comme lorsque ta mère t’appelait
Pour t’embrasser

Non

Ne me dis pas qu’il ne faut aimer personne
Parce qu’alors je t’appellerai le diable
Je t’appellerai le dangereux et l’assassin
Je dirai à tous comment tu aimes trainer
Ces corps bleus de froid dans les terrains vagues
Et comment tu aimes t’allonger nu sur l’innocence
Et tu auras peur de mourir dans la foule en rage qui te tient
Et pourtant quelqu’un viendra te mettre une hostie dans la bouche
En te chuchotant qu’il te croit.

Ne me dis pas qu’il ne faut aimer personne
Lorsque, le matin,
Douloureux des douleurs
Tu te réveilles avec dans les yeux le soupir d’un gisant
Et qu’à ta droite une main cherche ta main
Que tu rejettes et fais saigner
Pareil au maître qui mord son chien
Parce qu’alors je ferai naitre
Au coté de ta côte
La plus solide des solitudes
Un monolithe noir et muet
Devant lequel tu te prosterneras en vain
Au pied duquel tu déposeras de maigres offrandes
Mais jamais ton fardeau

Non

Ne me dis pas qu’il ne faut aimer personne
Parce qu’alors je te ferai voir
Mille ans de cachot
A peine assis
A peine debout
Dans l’antichambre du mal
A attendre une écuelle d’amour
Le pain rassis d’une chaleur humaine
Et tu croiras voir depuis ta lucarne
L‘amour sur lequel tu crachais

Non

Ne me dis pas qu’il ne faut aimer personne
Parce qu’alors je ferai entrer dans ta demeure
Ces troupeaux de bêtes innocentes
Ces rires d’enfants
Ces serments fait par les amants dans les mansardes
Ces paroles simples du vieillard au chevet de son vieil amour
Et alors tu tomberas sans crier
Sans pleurer
Sans bruit
Comme seuls savent le faire les cités d’orgueils
Que tu habites
Que tu habitais
Et que tu hantes encore.

Non

Ne me dis pas qu’il ne faut aimer personne

ELLE. – Hé ben, c’est pas réjouissant.

MOI.- J’aurai peut-être dû apporter le Ukulélé ?

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