JOUR 40

CHEZ LES ALMODOVAR

MOI. – T’es où ?

ELLE. – Dans le désert. Ça fait quarante jours. On n’a pas raté une seule journée et les Warhol non plus. Ça fait quarante jours qu’on se demande ce qu’on va faire le lendemain et que le lendemain revient pareil. C’est le jour de la marmotte. Et le jour revient et revient encore comme ces vieux dimanches moisis que l’on passait devant MacGyver.

MOI.- …Ça, la Françoise Dolto ne comprendra jamais ce qu’un enfant peut ressentir à regarder MacGyver un dimanche pluvieux.

ELLE. – … le jour revient et Il est là, avec ses nouvelles à la con. Et quand je dis nouvelles à la con, c’est dans le sens où ce n’est jamais clair. C’est la Babel numérique. Les avis, les autres avis, les spécialistes, les illuminés, les idiots et les méchants, tous le monde veut se mettre à table. Sans noblesse. Sans recul. Sans rien. Ils mettent leur serviette autour du coup, ils prennent leurs couverts et ils s’assoient sur les plateaux télé comme au restaurant. Et ils donnent leur avis.

MOI. – comme dirait l’Inspecteur Harry , les avis, c’est comme les trous du cul, tout le monde en a un. Sinon y a le père Platon qui raconte que la démocratie est la dictature de l’ignorance. Finalement Platon et l’Inspecteur Harry se rejoignent sur ce point.

(Un temps)

ELLE. – Tu sais qu’à l’ouverture d’un mac drive, à Moissy-Cramayel en Seine-et-Marne, tout le monde c’est précipité au point de créer un embouteillage monstre. Des automobilistes ont attendu trois heures pour avoir leur Big Mac ?

MOI. – La notion de fast food part en couille.

(Un temps)

MOI. – ça fait 40 jours… pfff… 40 jours c’est symbolique. C’est la traversée du désert, c’est le jeun, c’est le temps passé par Moïse sur le mont Sinaï, c’est les 40 jours de pluie pendant le déluge.

ELLE. – C’est aussi le temps qu’il faut à Gaston Lagaffe pour rendre son dossier urgent.

(Un temps)

ELLE. – Moi, au lieu de penser au déconfinement, je pense à maintenant. Là. Pas une minute avant et pas une minute après. Faut être comme des bêtes pour être heureux. Vivre dans le présent.

MOI. – C’est ce que ferait Gaston.

(Un temps)

ELLE. – Tu crois qu’on devrait le donner notre avis sur la situation… notre fine analyse à la Colombo quand il a trouvé le coupable ?

MOI. – Je crois qu’on le donne déjà notre avis. Tout les jours, avec les Warhol. On n’arrête pas. On est là où on est. Il y a pire et il y a mieux. On se contente de faire ce qu’on imagine savoir faire. Tout ce que je sais c’est qu’il faut ré-enchanter le monde avec ce qu’on a sous la main. Des bouts de bois, du papier, de la boue, des chansons, des roulades dans la rue, des chaussures rouges, un mot d’enfant genre dada… qu’importe.

ELLE. – C’est beau ce que tu viens de dire.

MOI. Je me suis inspiré d’un passage de la Petite Maison dans la Prairie. J’ai vu absolument tous les épisodes. Du premier au dernier lorsqu’ils font exploser leur maison. Il y en a un, ou les Ingalls doivent partir de Walnut Grove pour la grande ville. Et c’est Charles Ingalls qui dit cette tirade à Caroline qui a un le blues.

ELLE. – Il parlait de ré-enchatement Charles Ingalls ?

MOI. –J’ai adapté un peu. Lui, il parlait de couper du bois et d’aller à la pèche. C’est pareil.

(Un temps)

ELLE. – Bon, je vais m’allonger un peu par terre. Le futur me fatigue un peu. ( un temps) Tu pourrais m’apporter un oreiller ?

MOI. – Tu ne préfères pas des fleurs ? Des géraniums c’est bien non ?

ELLE. – ha oui ! ça fait fuir les moustiques.

(Un temps. Il lui apporte des fleurs.)

ELLE. – je me demande ce que dirait Françoise Dolto de tout ça ?

MOI. – Big bisou.

CHEZ LES WARHOL

15:00

ELLE. – Ça sonne.

MOI. – C’est ma fille. Elle vient nous rendre visite. .

ELLE. – Ta fille ? Pourquoi ? On vit quelque chose d’impérieux ?

MOI. – Je vois pas le rapport ?

ELLE. – Sur les attestations, il est dit « Déplacement pour motif familial impérieux »

MOI. – Alors oui.

ELLE. – C’est vrai ? T’es malade ? Tu m’inquiètes.

MOI. – Je suis à court d’inspiration dans un confinement sans interactions sociales. Au bord du gouffre moral et financier, j’envisage de descendre mettre le feu au quartier et pisser contre la devanture du bureau de tabac.

ELLE. – Contre la devanture du bureau de tabac ? Pourquoi du bureau de tabac ? Tu les aimes bien pourtant, ils sont sympas.

MOI. – Ça explique donc bien l’impérieusité de la situation.

ELLE. – C’est vrai. Allons leur ouvrir.

(Elle ouvre)

ELLE & MOI. – Bonjour !

LA FILLE & LE GENDRE. – Bonjour !

MOI. – Alors ? Comment se passe ce confinement ?

LA FILLE. – Kim Jong-Un est mort.

MOI. – Oh, quelle nouvelle rafraîchissante. C’est toujours joyeux quand vous venez. Tu vois, vous êtes là et déjà je me sens mieux

LA FILLE. – Ça n’allait pas ?

ELLE. – Ton père était à deux doigt d’aller foutre le feu au quartier et pisser contre la devanture du bureau de tabac.

LA FILLE. – Du bureau de tabac ! Mais tu les aimes bien pourtant.

(Silence. Un temps)

LA FILLE. – Et vous ?

MOI. – A court d’inspiration. Il nous fait tourner en rond ce virus.

LA FILLE. – Oui. Drôle de guerre.

ELLE. – Drôle de guerre ? Quelle guerre ? Il y a une guerre ?

MOI. – Non, t’inquiète. Elle plaisante. C’est une façon de parler. La drôle de guerre c’était en 39.

LE GENDRE. – De septembre 39 à mai 40 si on veut être précis.

(Silence. Un temps)

ELLE. – Vous voulez un thé ?

LA FILLE. – C’est peut-être risqué. On ne voudrait pas rentrer. Sait-on jamais.

ELLE. – Vous inquiétez pas. Avec les masques. Bougez pas, je vous amène deux chaises. Installez vous sur le palier.

(Elle va chercher les chaises, puis du thé. Tout le monde s’installe)

LA FILLE. – Plus rien ne sera jamais comme avant.

MOI. – Oui, rien n’est jamais comme avant. Ça tient de la tragédie. La minute suivante s’évertue toujours à bouffer l’instant précédent. C’est dingue. JE n’est qu’un autre qui se court éternellement après.

ELLE. – C’est si vrai. Ça m’a toujours exaspérée ce coup des minutes qui nous bouffent en silence. On nous emmerde avec ce virus mais personne ne parle jamais des minutes. Exaspérant.

LE GENDRE. – Oh vous savez, les minutes ne sont que les idiotes utiles des mois et des années.

(silence. Deux temps)

LA FILLE. – Quand même, là c’est un gros changement. Va falloir s’habituer.

MOI. – Il faudrait s’habituer à ne jamais s’habituer. « l’habituel défaut de l’homme est de ne pas prévoir l’orage par beau temps ».

LE GENDRE. – Remarquable. C’est si vrai. Raison pour laquelle je ne sors jamais sans ma trompette. Dans le cas où il y aurait une levée de drapeau. Ou passerait un corbillard.

MOI. – C’est Machiavel.

ELLE. – Tu lis ça ?

MOI. – Je le relis. En diagonal. Je m’étais dit que je profiterais du confinement pour lire la somme théologique de Saint Thomas d’Aquin mais avec ce beau soleil, ça fout le bourdon. Je me suis rabattu sur Le Prince. Pour apprendre à gouverner en 100 pages, rien de tel que Machiavel.

LE GENDRE. – J’avais adoré.

LA FILLE. – Tu as lu Machiavel ?

LE GENDRE. – Oui. C’est pas mal pour la trompette. C’est Ranga Langa qui m’a amené à lire Machiavel. Il pense que c’est bon pour élargir ma palette harmonique.

MOI. – Un type bien. C’est qui ce Ranga ? Un philosophe indien ?

LE GENDRE. – Non, mon guitariste réunionais.

(Silence. Un temps)

MOI. – Donc, tu es venu avec ta trompette ?

LE GENDRE. – Oui. Je pensais vous jouer un petit Miles Davis. « Round Midnight ». Mais avec cette histoire de couvre feu, ce n’est plus possible. On ne peut plus rien foutre après 22h. Jouer « Round Midnight » c’est un truc à se prendre une amende. Pire, se retrouver en garde à vue.

LA FILLE. – Oui. C’est désolant. Un si beau morceau. C’est la mort du Jazz.

ELLE. – Ah bon, tu crois ?

MOI. – Ça ne m’étonnerait pas. Il est capable de tout, même de tuer le Jazz ce virus.

LA FILLE. – Ça a déjà commencé.

ELLE. – Ah bon ?

LA FILLE. – Évidemment. On ne joue pas de Jazz à quinze heure. Ça perd tout son sens. Le Jazz c’est la nuit. Le Classique c’est à l’aube. Avec un couvre feu, tout est fichu.

ELLE. – Oui, c’est vrai. Moi aussi j’écoute le Jazz la nuit et le classique à l’aube. Bon, remarquez, ils en passent encore un peu sur FIP.

(Silence. Un temps)

MOI. – J’ai une idée. Tu pourrais jouer une charge héroïque.

LE GENDRE. – Volontiers, laquelle ?

MOI. – Celle du 7e régiment de cavalerie. Le jour de la grande défaite et de la mort du General Custer à Little Big Horn. Un grand moment. Un peu comme la mort de Kim Jong Un.

ELLE. – Ça peut être beau en effet. Au moins distrayant.

MOI. – Oui, c’est une musique qui donne de l’espoir. Elle rappelle que dans la vie, quelques soient les difficultés, il n’y a pas que des mauvaises nouvelles.

(Le gendre joue. Le son de la trompette résonne dans tous les escaliers)

ELLE. – C’était affreux ! Affreux ! J’ai adoré, bravo ! Quelle interprétation !

LA FILLE. – Oui, il joue bien. Et encore, vous n’avez pas entendu quand il fait du Miles ou du Chet Baker. C’est quand même autre chose.

MOI. – Oui, c’était une superbe interprétation. Je crois que rien est pire que le son d’une trompette pendant la charge du 7eme Regiment. Ça m’a fait penser à Hendrix reprenant l’hymne américain.

LA FILLE. – Ça fait tellement de bien quand ça s’arrête.

MOI. – Oui. C’est comme la guerre. Je voyais les images. Imaginer le général Custer, criblé de flèches sioux, agoniser sous le son de la trompette…Il y a quelque chose d’intense, de réjouissant.

(Silence. Un temps)

LA FILLE. – Tu crois que Trump fait partie du 7eme Régiment ?

MOI. – Non. Il n’a jamais fait l’armée.

(Silence. Un temps)

MOI. – Puis même s’il en faisait parti, ça ne servirait à rien.

ELLE, LE GENDRE & LA FILLE : Ah bon pourquoi ?

MOI. – Il n’y a plus de sioux.

LE GENDRE. – C’est triste.

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